mardi 22 août 2017

[Nouvelle] La fin d'un monde

Tout comme l'an dernier, le 22 août est le Ray's Day. Comme l'an dernier, je participe avec une nouvelle de mon cru. Cette fois, je pars dans la science-fiction. Ayant manqué de temps pour y travailler, je ne suis pas très fière de la qualité de cette nouvelle. J'espère qu'elle te plaira quand même.



Au début, Mona croyait les informations officielles. Elle remarqua, bien entendu, que malgré l’abondance des transports d’évacuation, la population de Zeltra IV ne semblait pas diminuer d’un iota, mais elle pensait à une sorte d’illusion, qui durerait jusqu’aux derniers jours, au cours desquels il semblerait que la planète se viderait d’un seul coup. Ce fut Reech qui lui ouvrit les yeux, un soir, alors qu’ils prenaient ensemble l’ascommun pour rentrer chez eux.
‒ T’as toujours pas reçu ton avis d’embarquement, toi non plus, lui dit-elle.
‒ Je crois pas que je le recevrai un jour.
‒ Comment ça ?
Reech posa la main sur le bras de Mona.
‒ Je sais compter, c’est tout. Nous sommes quarante milliards sur cette planète. Et on est évacués au rythme de cinq millions par jour. À ce rythme, faudra plus de vingt ans pour tous nous sortir !
Les passagers à côté d’eux commençaient à écouter la conversation.
‒ Et ça, c’est la prévision optimiste, ajouta Reech. Parce que pour l’instant, c’est l’évacuation vers les systèmes les plus proches. Mais aucune planète n’est en mesure d’accueillir un tel flux d’immigration. Tôt ou tard, on sera déposés dans des systèmes plus lointains et la cadence va ralentir.
Reech attendit quelques arrêts avant de continuer. Quand la foule dans l’ascommun fut moins dense, il se pencha vers Mona et lui glissa à l’oreille :
‒ J’ai un pote, il a réussi à dégoter un vieux moteur supraluminique et l’a fixé sur sa navette. Je pars ce soir. Si tu veux, y’a une place pour toi.
Mona se figea.
‒ T’es complètement fou. Son bricolage, y’a une chance sur deux qu’il tienne pas. Vous allez finir disparus dans l’hyperespace, c’est tout ce que vous allez y gagner !
‒ C’est notre seule chance de survie. Elle est mince, mais je choisis de la prendre. Et toi ?
‒ J’attendrai mon avis d’embarquement.
Reech regarda ses pieds, comme vaincu.
‒ Si tu changes d’avis, bipe-moi. Faut que tu saches une chose, quand même. Tu recevras ton avis que quand tous ceux qui sont plus riches que toi seront partis. Regarde bien autour de toi et réfléchis.

Mona laissa Reech partir sans elle. Elle n’avait pas préparé ses affaires, elle avait toujours son travail, elle n’était pas prête à partir de façon clandestine. Les messages officiels assuraient qu’il n’était pas nécessaire de paniquer, qu’il faudrait de longs mois avant que l’atmosphère de la planète ne devienne irrespirable, et que chacun aurait, à un moment ou un autre, son avis d’embarquement. Si aucun écran ne le disait, Mona était convaincue que la recherche scientifique était sur les dents. Évacuer la planète était une mesure de précaution, il était évident que trouver une solution permettant à tous de rester était économiquement plus intelligent. Les autres planètes ne pouvaient qu’aider à financer une telle recherche, cela leur épargnerait d’avoir à accepter des milliards de réfugiés.


Quelques mois plus tard, l’agence où travaillait Mona était presque vide. Rares parmi les absents étaient ceux qui avaient réussi à quitter la planète. La plupart d’entre eux avaient soldé tous leurs congés puis démissionné. Mona préférait rester en poste, elle se souvenait des mots de Reech. Les chômeurs partiraient après les travailleurs. Il lui restait un espoir. Elle était sur le point de quitter son bureau pour rentrer chez elle quand son supérieur l’intercepta alors qu’elle descendait le couloir.
‒ Mona, c’est fini, inutile de revenir demain.
‒ Tu pars ?
Il éclata de rire.
‒ C’est pas pour tout de suite. C’est la grande patronne qu’a reçu son avis. Elle ferme la boîte.
Tout était dit. Il fit quelques pas et tenta de lui poser la main sur l’épaule. Elle esquiva le geste, prit la fuite pour ne pas entendre les mots de réconfort. Elle s’engouffra dans le premier ascommun et partit au hasard. Elle réalisa qu’elle se rendait vers le haut, vers les étages les plus élevés de la planète. Peu avant la fin du trajet, elle vit tous les passagers descendre, la laissant seule. Un vieil homme se retourna et retint la porte :
‒ Faut descendre ici, mademoiselle. Plus haut, c’est devenu irrespirable.
Elle se leva d’un bond et s’enfuit hors de l’ascommun.
‒ Merci, dit-elle. Je vous dois une fière chandelle.
L’homme secoua la tête.
‒ C’est tout naturel. Vous alliez voir quelqu’un ? Vous vouliez peut-être profiter du paysage ?
‒ Non, j’allais au hasard.
L’ancien hocha la tête comme si ce comportement était parfaitement naturel.
‒ Je connais un café sympa pas loin, je vous paie un verre ?
L’établissement disposait d’une baie vitrée vers l’extérieur. La nuit tombée, le paysage était illuminé par les lumières artificielles. Les étages supérieurs des immeubles étaient plongés dans l’ombre. Le front posé sur la vitre, Mona observait pensivement le paysage. Elle se tourna vers son sauveur.
‒ C’est vraiment invivable, là-haut ?
Le vieux hocha la tête.
‒ Quand les habitants sont partis, les pillards n’ont pas traîné à arriver. Ils ont pris tout ce qu’ils ont pu et l’ont descendu. Je pensais qu’ils profiteraient de l’aubaine pour s’installer, mais même pas, ça m’a valu la vie je pense. S’ils m’avaient vu…
Mona le dévisagea.
‒ Vous étiez un habitant des étages supérieurs ? Un domestique ?
L’ancien éclata de rire.
‒ Vous dites ça parce que je ne suis pas parti. Non, je suis un vrai habitant, j’ai simplement choisi de rester. J’ai bien assez vécu comme cela, mon départ aurait été du gâchis. J’ai donné mon avis à un jeune d’un orphelinat.
‒ Alors comme ça, c’est bien vrai ! Les plus riches partent en premier.
Elle serra les poings. Elle avait envie de frapper le vieux, de lui faire payer pour ceux qui étaient partis. L’arrivée du serveur lui permit de se ressaisir.
‒ C’est moi qui invite, annonça le plus ancien. Je prendrai un porgnac de Jeltron. Je vous le recommande, mademoiselle.
Mona demanda du porgnac et s’assit face à l’ancien. Elle était vidée par sa colère brutale et fugace à la fois.
‒ Au fait, je m’appelle Mona.
‒ Tolan.
L’ancien sourit amicalement, comme s'il n'avait pas perçu la colère de Mona. C'était peut-être le cas, ou peut-être une politesse délicate.
‒ Pour revenir à notre conversation, c’est vrai que les plus riches partent les premiers, mais c’est géographique. Je vous ai dit que c’était devenu invivable, là-haut. C’est pour ça que toutes les lumières sont éteintes, c’est pour ça que je n’y vis plus, ni personne. Vous voyez, au-dessous de ces étages complètement éteints, il y en a quelques autres avec des lumières disparates.
Mona plissa les yeux pour mieux regarder. Quelques lueurs étaient effectivement visibles. Tolan poursuivit :
‒ Là-bas, tout le monde a été évacué. Mais y’a quelques squatteurs, c’est pour ça qu’il y a de la lumière. C’est confortable, les appartements sont spacieux, mais dans pas longtemps, les habitants réaliseront qu’ils ne peuvent plus courir sans se sentir nauséeux. Et puis un jour ou l’autre, ils auront souvent des maux de tête, des vertiges, et se rendront compte qu’ils ne peuvent décemment plus vivre à une si forte altitude.
Mona reprit une lampée de porgnac. Elle n’en avait jamais bu d’aussi bon. Elle n’osa pas regarder la carte pour en connaître le prix. Sûrement un mois de salaire pour un habitant du bas de l’échelle sociale. Elle comprenait les pillards et les squatteurs, ils vivaient une occasion unique de connaître les plaisirs des riches.
‒ Pour l’instant, les étages sont vidés avant d’être inhabitables, reprit Tolan. Mais plus ça va, plus le temps est court. J’ai pu continuer à vivre deux mois à la maison avant de devoir descendre.
Il montra les étages où les lumières étaient disparates. Aux premières lueurs de l’aube, celles-ci s’estompaient progressivement.
‒ Ceux qui vivent là n’ont sûrement que quelques semaines devant eux. Plus ça va, plus c’est rapide. Jusqu’au jour où les étages seront inhabitables avant d’être évacués. Là, ce sera le début de l’anarchie.
Tolan était le premier à confirmer les propos de Reech. Il n’y aurait pas le temps d’évacuer toute la planète. Mona reprit son verre, le vida. Elle pensa à tous les pauvres qui, après une vie de misère, seraient abandonnés comme des mouchoirs usagés.


Le lendemain matin, Mona se sentait désoeuvrée. Son travail ne l’attendait pas, elle n’avait pas non plus envie d’aller se défouler en jouant à la gravballe ni de se promener au musée. Elle se rendit au vendeur de sojfrit non loin de chez elle pour y commander son repas. Seule au comptoir, elle grignotait ses sojfrits croustillants, les doigts imbibés de sauce, tout en regardant le murécran qui diffusait des clips. À onze heures, les publicités laissèrent place aux informations. Une image d’une capsule de secours posée dans un champ s’afficha en gros plan, tandis que retentissait la voix  du commentateur :
Sur Volfin, l’immigration clandestine des Zeltrans inquiète la population.

L’image montra une foule. Les manifestants brandissaient des pancartes disant Volfin aux Volfrans ou Zeltrans, allez ailleurs.

Les autorités sont désemparées face à l’ampleur du problème.


L’image passa à une conférence de presse. Le ministre de l’intérieur expliquait :
‒ Nous ne pouvons pas accueillir tous ces migrants. Humainement, il n’est pas envisageable non plus de les renvoyer chez eux. Nous sommes en discussion avec les autres planètes du consortium pour que chacune prenne sa part. C’est déjà difficile pour elles, car elles ont également leur lot d’immigration légale à gérer.

L’image montra un campement de tentes, tandis que le commentateur reprenait :
La population se plaint d’une montée de la délinquance liée à l’arrivée des clandestins. Monsieur et Madame Goupf vivent juste à côté d’un de ces camps où ils se regroupent.

L’image se focalisa sur un couple. L’homme prit la parole :
‒ Notre vie est devenue un enfer depuis leur arrivée. Ils se regroupent, pour être ensemble au lieu de se mêler à nous, et ça braille, ils font du bruit jusqu’à pas d’heure, et puis ils sont pas propres. On a dû rentrer toutes nos décorations de jardins, de peur du vol.
‒ Moi, j’ose plus sortir depuis qu’ils sont là, renchérit la femme.
‒ Ouais, c’est l’insécurité. De toutes façons, les bons, ils sont restés sur leur planète pour essayer de résoudre leur problème, c’est la lie qui vient chez nous.

Un bras de fer s’est engagé entre la mairie et les militants associatifs, qui demandent à ce que les migrants aient accès à l’eau potable.

L’écran se mit à grésiller, l’image se brouilla.
‒ S’il vous plaît monsieur, votre poste a un problème.
Le vendeur s’approcha et commenta nonchalamment :
‒ C’est pas l’écran qui déconne, c’est la transmission.
Il pointa du pouce vers le haut avant de reprendre :
‒ Avec le départ des pontes là-haut, ceux qui assurent le réseau sont payés aléatoirement. Forcément, ils bossent comme ils sont payés.
Il passa d’un geste machinal un linge sur le comptoir, étalant les traces de gras.
‒ Je les comprends. Moi, tant que je suis fourni, je continue à tenir la boutique, faut bien que les gens ils se nourrissent, et je continue à gagner ma vie. Je me demande comment tout ça va tourner.
Une clameur venue de l’extérieur l’interrompit. Mona abandonna son restant de sojfrit pour aller voir ce qui se passait. Elle tomba dans une manifestation. Les banderoles et panneaux réclamaient une évacuation plus rapide. Mona se plaça près d’une adolescente brandissant une pancarte Jeunesse innocente sacrifiée. Mona n’avait pas d’enfants, elle n’ignorait cependant pas que tous les parents donneraient sans sourciller leur avis d’embarquement à leur progéniture. Seulement, ce n’était pas ainsi que ça se passait, les parents recevaient leur avis souvent en même temps que leurs enfants, ils étaient sauvés ensemble ou mourraient ensemble. Si la population avait pu voter l’ordre d’embarquement, elle aurait choisi sans nul doute de faire partir les plus jeunes en premier. C’était la décision de Tolan, quand il avait refusé de partir, laisser son billet à un enfant qui aurait été le dernier débarqué. La population n’avait pas eu son mot à dire sur ceux qui partaient ou mourraient. Les riches et les puissants n’avaient cure des enfants des autres, ceux qui devaient encore travailler de longues années pour se forger une situation et aller vivre un peu plus haut.

Mona resta un bon moment à la hauteur de l’adolescente, parcourant les rues et les escaliers. Elle n’avait aucune notion du temps. Tout ce qu’elle constata, c’était qu’il faisait nuit quand ils débouchèrent à l’air libre. Cela ne signifiait rien sur l’heure, Zeltran IV tournait trop vite sur elle-même pour qu’on puisse calquer ses horaires sur les enchaînements jour-nuit. Au lever du soleil, Mona sentit une odeur étrange. Elle la respira un peu plus fort, espérant l’identifier. Elle se mit à suffoquer. Toussant et crachant, elle tomba à genoux sur le trottoir. Un homme se pencha vers elle, il avait le visage masqué par un foulard.
‒ Lève-toi. Je te conduis à l’abri.
Les yeux en larmes, Mona le suivit à l’aveuglette tandis qu’il fendait la foule, jouant des coudes. Elle comprit au silence soudain qu’elle était à l’intérieur d’un appartement. Elle sentit un morceau de tissu se glisser dans sa main, elle l’utilisa pour se tamponner les yeux. Sa vue était encore brouillée, elle distingua néanmoins qu’elle était dans le salon d’un appartement bien plus luxueux que tout ce qu’elle avait déjà vu - hormis les séries soap.
‒ Nous sommes montés trop haut, l’air est irrespirable ?
L’homme éclata d’un rire nerveux.
‒ Ce sont les lacrymos.
L’appartement commença à s’emplir de monde. Mona reconnut parmi la foule l’adolescente qu’elle avait longuement suivie. Elle n’avait plus de pancarte, elle pleurait. L’homme au foulard avait disparu. Mona s’adressa à son voisin :
‒ Qu’est-ce qui se passe ? J’ai tout de suite été prise par l’odeur des lacrymos.
‒ Y’a de la flicaille devant. Ils bloquent le passage et ont balancé des lacrymos direct.
‒ Mais pourquoi ? En plus, je comprends pas, ils devraient être avec nous. On est tous sur la même planète !
Une femme s’immisça dans leur conversation :
‒ Pas vraiment. On leur a promis une place dans le dernier vaisseau qui part s’ils maintiennent l’ordre.
‒ Les salauds ! Les bâtards !
Sans trop comprendre pourquoi, Mona s’était levée. Sa haine s’exprima, brute. Elle saisit une statuette abandonnée là et la lança sur l’immense murécran qui faisait face au canapé de cuir.
Un homme lui saisit les mains. D’une voix chaude, il lui expliqua :
‒ Les forces spéciales sont en train de protéger l’ambassade de Volfrin. Si on s’y met tous, on doit pouvoir forcer le passage.
Mona opina. Elle était prête à faire n’importe quoi pour faire taire la voix qui hurlait de révolte à l’intérieur d’elle. Une voix féminine ajouta :
‒ De toutes façons, si y’a des morts dans l’opération, ça fera de la place en plus pour les jeunes dans les vaisseaux d’évacuation.

La suite de l’opération se déroula comme dans un rêve pour Mona. Emportée par sa haine, embarquée dans les émotions qui l’entouraient, elle lança des projectiles sur les forces spéciales. Malgré leurs combinaisons protectrices et leurs boucliers, ils reculaient. Des gens s’effondraient autour d’elle, elle ne comprenait pas pourquoi. Quelqu’un cria :
‒ Allons cramer cette ambassade !
Mona suivit. Elle pénétra dans un bâtiment. Elle se retrouva dans une grande salle avec d’autres manifestants qui ne savaient pas plus qu’elle ce qu’il fallait faire. Elle suivit le groupe qui décida de sortir. En voulant retourner du côté des affrontements, elle se trompa de chemin. Elle marcha quelques temps. Brutalement vidée de ses forces, elle trouva tout juste la force de pénétrer dans un appartement abandonné et de s’effondrer sur le canapé.

À son réveil, un fort mal de tête l’assaillait, il faisait plein jour. Elle se leva nauséeuse. Un grand murécran, intact, lui faisait face. Elle l’alluma. Cette fois, il fonctionnait. C’était une chaîne d’informations.
Les manifestants ont saccagé un hôpital. Fort heureusement la plupart des malades avaient déjà bénéficié de l’évacuation.

Les images montraient les traces de la manifestation, des vitres brisées, des tags sur les murs, des petits feux.

Dix-sept soldats ont été blessés par des manifestants, dont un dans un état grave. On déplore également deux morts parmi les forces de l’ordre, ce sont des héros qui ont donné leur vie pour le peuple. Côté manifestants, plusieurs dizaines de morts sont avancés.

L'image se focalisa sur un gradé.  
Ce sont uniquement des ultra-violents, mes hommes ont réagi en état de légitime défense.

Mona se sentait mal. Avait-elle vraiment participé au saccage ? Comment avait-elle pu se laisser entraîner ainsi ? Cela ne lui ressemblait pas. Elle changea de canal. Le suivant montrait en arrière-plan des scènes de combat contre les soldats. La scène principale était un micro-trottoir. Un homme d’une vingtaine d’années témoignait :
‒ Ah ben moi, avant, j’étais pour les accueillir. Je me disais que c’était pas normal de les laisser là-bas, qu’ils sont humains. Mais maintenant, je vois bien qu’ils nous aiment pas, on dirait des bêtes sauvages. Je vois pas pourquoi on ferait des efforts pour les accueillir s’ils cherchent à attaquer nos ambassades et s’en prennent aux hôpitaux.

Les autres canaux montraient eux aussi des scènes de violence. Mona voulut se faire à manger. Quand elle se leva, sa tête se mit à tourner. Elle tangua un peu, se dirigea vers les placards. Elle se sentait si faible. Elle se rassit, songeant à se rendormir. Tout était silencieux autour d’elle. Brutalement, elle comprit qu’elle était trop haut et qu’elle souffrait du manque d’oxygène. Elle sortit dans le crépuscule et chercha l’ascommun le plus proche.



Mona ne se dirigea pas au hasard. Elle retrouva rapidement l’étage où elle vivait, son quartier abrité. Toutes les pharmacies qu’elle rencontra étaient fermées, certaines les vitres fracassées. Elle se rendit à la bibliothèque, espérant atténuer sa douleur dans les environs du petit bâtiment silencieux. À sa grande surprise, celui-ci était ouvert. Mona en franchit les portes. Une jeune femme ravissante était postée derrière le bureau d’accueil :
‒ Bonjour ! C’est pour un emprunt ou pour lire sur place ?
‒ Pour lire sur place.
‒ Alors installez-vous, comme vous le voyez, il n’y a pas beaucoup de monde aujourd’hui.
Mona alla s’asseoir dans un fauteuil. Un écran se mit en place devant ses yeux, elle commanda des nouvelles d’aventures. L’atmosphère était sereine, une impression de calme et de normalité se dégageait de cet espace, comme si toute cette évacuation forcée n’était qu’un rêve. Non loin d’elle, une femme faisait la lecture à ses deux enfants très jeunes, sur des livres de carton comme ceux qu’elle avait étant enfant. Le mal de tête reflua. Mona partit après la famille. La jolie fille était toujours présente. Avant de sortir, Mona se dirigea vers elle :
‒ Comment ça se fait que la bibliothèque est ouverte ?
La fille sourit gaiement.
‒ C’est moi qui ait les clés, tant qu’il y a du courant, on pourra venir lire.
‒ Mais… pourquoi ?
La bibliothécaire ne fit pas semblant de ne pas comprendre.
‒ J’aime mon métier. Il est utile. Les gens ont besoin de pouvoir lire, s’instruire, il n’est jamais trop tard pour ça. Même si je gagne plus rien avec ça, il faut bien que je le fasse. C’est simplement mon devoir moral, si je ne suis plus là, la bibliothèque ferme, et où les gens vont pouvoir découvrir des livres qu’ils n’ont pas encore lus ?
Une idée germa dans l’esprit de Mona.
‒ Et si vous recevez votre avis d’embarquement ? demanda-t-elle d’un air innocent
‒ Quand on pourra plus respirer ici, la bibliothèque sera forcément fermée. Si par chance je reçois le bon avant, j’attendrai sûrement que le niveau soit vide avant de partir.
La bibliothécaire n’allait pas donner sa vie pour son métier. Mona cacha sa déception.
‒ En tous cas, c’était un plaisir de rencontrer une personne souriante comme vous. Ça faisait longtemps.

Mona se rendit vers le spatioport le plus proche, celui qui lui serait sûrement affecté quand elle recevrait son bon de départ. Elle connaissait les lieux. Il y avait quelques années, alors qu’elle venait juste d’être embauchée, elle s’y rendait souvent pour regarder les vaisseaux partir vers l’espace. Elle rêvait alors qu’un jour elle serait à l’intérieur, assez riche pour partir visiter d’autres planètes. Le tourisme n’était plus son but. Elle voulait bien n’importe quel endroit prêt à l’accepter.

Le site était gardé par des militaires, de ceux qui partiraient avec le dernier transport, comme le disait la rumeur. Une longue file d’attente était présente bien avant les bâtiments du spatioport. La plupart des gens avaient des sacs. Mona prit place dans la file. De là où elle était, dans la ville abritée, elle ne pouvait même pas encore voir s’il faisait jour ou nuit. Quelques personnes vinrent s’installer derrière elle. Au bout d’un moment, un militaire vint vers eux, tenant une corbeille à la main :
‒ Toutes vos affaires personnelles doivent tenir là-dedans. Il n’est pas trop tard pour mettre les autres à l’abri chez vous.
Quelqu’un demanda :
‒ Mais devant nous, il y en a avec de gros sacs, vous leur dites rien ?
‒ C'est seulement au moment d'entrer qu'on va trier. Aucune nourriture ne vous sera servie tant que vous serez à l’extérieur, seulement de l’eau. Vous devriez aller chercher de quoi vous nourrir, l’attente est de deux jours depuis ici.
Une voix énervée s’éleva :
‒ J’ai pas de famille pour garder ma place. On va me passer devant pendant mon absence.
Le militaire reprit :
‒ Il n’y a pas d’autorisation de garder une place pour un autre. Tout le monde est à la même enseigne. Mais rien ne vous interdit de jeûner si vous voulez passer devant ceux qui vont chercher de la nourriture.
Les tripes de Mona se nouèrent. Elle s’adressa au militaire :
‒ Vous ne vérifiez pas les avis d’embarquement pour savoir qui est prioritaire ?
‒ Non. On vous donne un ticket quand vous passez le portique du spatioport en échange de votre avis d’embarquement. Ensuite, c’est premier arrivé, premier servi. On se fout de la date de réception.
D’un ton plus doux, il reprit :
‒ Mais vous en faites pas madame, même si vous rentrez prendre des affaires en plus, vous êtes sûre de partir à temps. Ce sera peut-être dans le vaisseau après cette famille derrière vous, mais ça n’a pas vraiment d’importance.
Mona hocha la tête. Le militaire dût sentir son trouble, car il continua :
‒ Il n’est en rien illégal de venir avec des affaires qui ne vous appartiennent pas, du moment que c’est avec le consentement du propriétaire légitime et que ça ne dépasse pas de la corbeille.
Mona se hâta de partir, les joues en feu, faisant mine de vouloir comme d’autres aller acheter de quoi patienter. Le plus ridicule était de vouloir garder la face dans ces circonstances. Mona n’avait jamais vu d’avis d’embarquement. Naïvement, elle pensait que celui-ci mentionnait un lieu et une heure de départ, et qu’elle pourrait prendre ainsi la place d’un absent, pour remplir le vol.

De retour à son appartement, Mona réfléchit ardemment aux options qu’il lui restait. Où qu’ait atterri Reech, elle n’avait aucun moyen de le contacter pour qu’il vienne la chercher. Elle savait qu’il existait des passeurs clandestins, mais ignorait où les chercher. Ceux-ci coûtaient d’ailleurs sûrement bien plus cher que les voyages touristiques qu’elle n’avait pu s’offrir. Elle commença à pleurer juste avant de comprendre qu’elle était coincée pour de bon.

Les jours suivants étaient nébuleux dans sa mémoire. Elle savait avoir souvent et longuement pleuré. Le reste du temps, elle regardait l’écran quand il fonctionnait et engloutissait tous ses stocks de nourriture prête-à-consommer. Elle restait dans le noir, ignorant tout du temps qui passait. Elle se rendit compte un beau matin qu’elle était repue de larmes. Elle se nettoya et s’habilla de propre.


Le marchand de sojfrit était toujours ouvert. Elle ne s’y arrêta pas. Elle prit l’ascommun et monta vers le café branché où elle avait bu un porgnac en compagnie de Tolan. L’étage était vide, désormais. L’air était encore respirable. Mona parcourut les couloirs, de nombreuses vitrines étaient éventrées. Le pub était occupé par un groupe conséquent, masculin et bruyant.
‒ T’es qui, toi ? la héla un adolescent quand elle s’approcha. Ici c’est fermé, maintenant c’est un club privé.
Des rires gras s’élevèrent derrière lui.
‒ Je cherche un homme âgé, il vit peut-être encore à cet étage.
C’était une bande de jeunes qui prenait du bon temps. La plupart d’entre eux étaient ivres.
‒ Le vieux ? La dernière fois qu’on l’a vu, il squattait au 273 !
Mona se dirigea à l’adresse indiquée. L’appartement était ouvert, pourtant tout portait à croire qu’il était vide.
‒ Tolan ? appela-t-elle
La voix résonna dans le grand salon. Elle tournait déjà les talons quand elle entendit la réponse :
‒ Mona, c’est bien ça ?
Tolan avait redressé sa tête de derrière le canapé. En guise d’excuse, il se contenta d’affirmer :
‒ Tout le monde n’est pas toujours bien intentionné. Je vous offre un café ?
Mona accepta. Ils échangèrent quelques banalités avant qu’elle ne vint au sujet qui l’avait fait venir :
‒ L’orphelin, à qui vous avez donné votre avis d’embarquement, comment l'avez-vous trouvé ?
‒ Vous espérez utiliser son ticket de départ ? Vous recevrez le vôtre bien avant. C’est bas, très bas. Le gamin avait jamais vu le soleil. J’ai dû l’accompagner pour lui donner ma place. il avait peur, le petit, mais il était heureux.
Mona se pinça les lèvres. Elle se pencha vers le vieillard et lui expliqua ses intentions.

Des mois s’étaient écoulés. Les évacuations étaient devenues plus lentes que la raréfaction de l’air. Les habitants des étages supérieurs avaient dû migrer plus bas, attisant des tensions. La violence et l’insécurité régnaient dans les rues. Mona n’avait pas à s’en préoccuper. Elle avait déménagé dans les locaux de l’orphelinat. Si l’approvisionnement en nourriture était chaotique, elle n’avait pour l’instant eu aucune violence à déplorer. Les occupants les plus âgés étaient partis depuis longtemps, dès que la surveillance s’était relâchée. Seuls restaient les plus jeunes, des enfants de huit ans ou moins, en demande constante d’affection, incapables de vraiment comprendre la situation. L’équipe était réduite, seuls restaient ceux qui, tels la bibliothécaire, aimaient leur métier et ceux qu'ils servaient. Ils avaient accueillis à bras ouverts l’aide de Mona. La jeune femme, qui n’avait jamais voulu d’enfant, se plaisait au milieu de ces bambins. Elle adulait en particulier la petite Lise, une blondinette de cinq ans, qui avait toujours tant de choses à raconter sur sa vie pourtant monotone.
‒ On entre dans l’ascommun. L’ascommun, ça sert à monter et descendre.
Les yeux de la petite brillaient tandis qu’elle demeurait assise sur son lit, jouant tranquillement à l'ascommun. Elle adorait ces transports. Elle les prenait sûrement avec sa mère, avant le décès de celle-ci deux ans plus tôt. Lise n’en avait jamais pris depuis.
‒ Oui, c’est vrai, c’est à ça que ça sert. Maintenant, tu dois t’allonger, c’est l’heure de faire dodo.
La petite obéit. Mona avait craqué pour elle dès leur première rencontre. Les autres enfants jouaient, criaient et se défoulaient. Lise restait dans son coin, muette et sage. Mona avait petit à petit gagné sa confiance. Lise souriait, parfois, c'était comme un arc-en-ciel au milieu des nuages. Mona éteignit la lumière du dortoir et rejoignit sa chambre. Une fois déchaussée, elle entendit son communicateur biper. Vivement, elle le saisit. Il s’agissait d’un message publicitaire.

Mona s’allongea sur son lit, songeuse. Elle avait cru, avec espoir et crainte, recevoir son avis d'embarquement. Si ça avait été le cas, aurait-elle eu le courage de le remettre à quelqu’un de plus jeune qu’elle ? Avait-elle accepté de mourir suffoquée ou lors d'une rixe pour accéder aux étages vivables ? Elle n’en savait rien. Elle avait enfin trouvé une paix plus profonde que tout ce qu’elle avait connu avant l’annonce de la mort de Zeltran IV. Elle ne voulait pas de cet avis.

Yoda

Je réalise que mes nouvelles de SF n'ont rien de gai. Heureusement, mes scénarios de SF sont plus drôles !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire