mardi 18 février 2014

À la recherche du voyage dans le temps perdu

Les voyages dans le temps, que voila un excellent sujet de partie ou de campagne ! Un sujet tellement qu’il est bien que c’est le thème du prochain colloque Bob le rôliste, le 1er mars 2014 à la maison des jeux de Nantes (d’ailleurs, M. Peabody & Sherman, un film d’animation sur le même thème, vient de sortir - on voit que Dreamworks cherche à profiter de la notoriété du colloque !).



Ce sujet, fort intéressant au demeurant, reste malgré tout malaisé à manipuler. En effet, on y marche très facilement au bord du gouffre de l’incohérence scénaristique. Et si Hollywood est spécialiste pour s’y vautrer et s’y ébattre, nous autres pauvres meneurs de jeu n’avons malheureusement pas la liberté d’un scénariste de Blockbuster : notre public, c’est nos joueurs, et ils n’hésiteront ni à refuser de se laisser manipuler comme des marionnettes, ni à remettre en cause notre sagesse légendaire. Autant d’embûches dans la création d’une bonne histoire de voyage dans le temps.

Illustrons le sujet avec un exemple bateau : Marty McFly va dans le passé, empêche ses parents de se rencontrer, et donc sa naissance. Puisque Marty McFly n’est pas né, il ne peut pas être allé dans le passé, et donc il n’y a pas de raison que ses parents ne se rencontrent pas. Pouvez-vous faire jouer un tel paradoxe à vos joueurs sans qu’ils ne remarquent l’incohérence ? Voici donc quelques recettes offertes par nos MJ planchant sur le sujet pour préparer Bob le rôliste.

Houston, on a un problème…

L’une des possibilités, c’est de permettre à notre cher Marty d’aller dans ce #!ù*% de passé et de modifier sa propre vie.

Les mondes parallèles

Une manière de s’en sortir est de se reposer sur les mondes parallèles. D’une façon schématique, on considère que le voyage dans le passé n’est pas réellement dans le passé, mais dans une sorte de monde parallèle. Ce qui fait que ce qui est modifié dans ce passé n’a pas d’impact sur notre présent à nous. Il y a trois façons de voir ce monde parallèle : soit il existe déjà, soit il est créé par le voyage lui-même, soit c’est la modification qui est faite qui crée une nouvelle ligne de temps. Quoi qu'il en soit, Marty crée un futur dans lequel il n'existera pas mais qui n'est pas son présent à lui. Le corollaire, c’est qu’en voyageant dans le futur, on voit un futur existant, déjà créé. Ce qui fait que ce que l’on change dans notre présent aura des conséquences dans notre futur, mais pas dans celui que l’on va visiter.

Le voyageur imprudent

Une autre manière de permettre à Marty de modifier son passé est de considérer que le voyageur temporel demeure identique tandis que le flux du temps se modifie. C’est une façon sympathique de permettre aux PJ qui se baladent dans le temps de se souvenir de comment était le monde avant qu’ils ne le changent. Mais on peut aller plus loin. Ainsi, une fois que Marty a empêché ses parents de se rencontrer, il retourne dans son présent pour découvrir qu’il n’y existe pas. Ça risque de lui compliquer la vie, administrativement parlant, mais ce n’est pas le pire qui puisse lui arriver. Car si à la place d’empêcher ses parents de se rencontrer, il va tuer le concepteur de la machine à remonter le temps, il s’interdit, dans le futur, de remonter dans le temps. Ce qui fait que quand il retourne à son époque, son double n’étant pas parti, il s’y trouve à deux exemplaires… Etant hors du temps, et donc non affecté par les modifications, il n'y a plus de paradoxe temporel : le Marty qui a voyagé dans le temps et empêché sa naissance est tout de même là, à empêcher sa propre naissance. Ça exige une vision acrobatique du temps, mais comme dans tous les livres, les voyageurs temporels sont conscients d'avoir modifié le passé (et donc leur présent), ça doit pouvoir passer auprès de vos joueurs.
Le voyageur temporel peut également être affecté à retardement. On peut imaginer par exemple qu’il voit son image s’effacer progressivement d’une photo, pour lui signaler qu’il va disparaître. C’est capillotracté, mais ça doit pouvoir passer auprès d’un bon public - à la limite, demandez à vos joueurs ce qu'ils ont aimé et trouvé cohérent comme oeuvre de fiction sur le voyage dans le temps.

Le temps décalé

Une manière originale de manipuler le temps en minimisant les risques est de considérer que la modification ne se propage pas immédiatement sur toute la ligne du temps, mais qu’elle a sa propre vitesse. De la même façon qu’en lançant un caillou dans une mare, les ondes n’arrivent pas immédiatement sur le bord, ou que le bruit du tonnerre arrive en décalage à nos oreilles, une modification dans le passé ne sera pas immédiatement perceptible dans le présent. Ainsi, une fois que Marty a empêché la rencontre de ses parents, il peut revenir tranquillement en 1985 et continuer sa vie. Mais si en 2015 il décide de retourner en 1985, à ce moment il découvre le passé modifié, donc sans lui. Ce qui signifie qu’à ce moment, s’il va voir 1955, ses parents se rencontrent normalement, puisqu’il n’y a pas de Marty en 1985 pour aller dans le passé et empêcher leur rencontre… des ondes, on a dit !

L’inertie de l’Histoire à notre secours

Une dernière possibilité de limiter les paradoxes est de considérer que l’Histoire se répare d’elle-même. Si l’on modifie quelque chose dans le passé, alors une autre chose va se produire qui fait que le présent ne sera pas trop différent. Si les PJ tuent Heimstein, le dictateur allemand qui a provoqué la 2e guerre mondiale et tué plein de Juifs, quand ils reviennent dans le présent, le passé a été à peine modifié, un peintre raté du nom d'Hitler a fait la même chose (non, ce n'est pas un point Godwin !). Si Marty empêche ses parents de se rencontrer en 1955, ceux-ci trouveront une autre occasion pour se rencontrer, en 1959 par exemple, et notre Marty n’aura aucun risque de ne pas exister.

Tout est sous contrôle

Une autre manière d’éviter les paradoxes temporels est d’éviter toute situation qui pourra y conduire.

Un voyage cloisonné

Le plus simple, en fait, est de limiter les possibilités de la machine à voyager dans le temps. Si on ne va voir que le futur, on évite les paradoxes (reste à savoir si on peut modifier le futur que l’on va voir). On peut également n’autoriser qu’un voyage dans un passé assez lointain, par exemple au temps des dinosaures. Certes, on peut imaginer qu’un objet de notre époque oublié là-bas peut révolutionner le présent, ou bien qu’un insecte écrasé au hasard va bouleverser toute l’évolution et interdire l'apparition de l'humanité (et donc des PJ). Mais on peut aussi, et c’est là le point, considérer que le papillon écrasé n’aurait pas eu de descendance, et que l’objet oublié est tombé dans une tourbière et n'a jamais été retrouvé. Bref, Marty ne peut pas retourner à l’époque à laquelle ses parents se sont rencontrés. Et s'il affecte le destin de personnes rencontrées à une époque plus lointaine, ce ne sont pas ses parents. Il peut modifier le passé, mais pas de façon à induire des paradoxes.

Un autre moyen de limiter les paradoxes - ou du moins d’avoir à donner des réponses - est le voyage uni-directionnel : Marty va pouvoir empêcher ses parents de se rencontrer. Mais comme ensuite, Marty ne peut aller que plus loin dans le passé, il ne saura jamais quelles en sont les conséquences (certes il ne disparaît pas, mais est-ce un indice ?).

Totemps et tabou

Une façon simple de gérer est d’interdire aux PJ de toucher au passé. Conscients des risques d’implosion de l’univers s’ils généraient un paradoxe, les PJ devront faire leur maximum pour rester de simples spectateurs du passé. Marty ne fera rien qui puisse empêcher ses parents de se rencontrer (et pour plus de sécurité, il évitera cette époque).

L’inertie de l’univers à notre secours

Ce qui est envisageable également, c’est l’impossibilité matérielle de générer des paradoxes temporels. L’univers ne pouvant supporter le paradoxe temporel, il se charge de l’empêcher. Ainsi, quand Marty se précipite au secours de son père, il heurte un caillou inopinément et se vautre, il ne peut plus empêcher la rencontre de ses parents ! Si on veut retourner dans le passé tuer Hitler, il y aura toujours quelque chose qui va merder dans nos tentatives d’assassinat, un détail improbable qui va se mettre entre la fin de l'univers et les PJ...

Le paradoxe temporel retrouvé

Mon astuce personnelle, enfin, c’est de faire bouffer des incohérences à gogo à mes joueurs. En effet, leurs personnages sont des héros de mauvais films… Ainsi, chaque paradoxe s’explique par la pauvreté scénaristique du film, et l’on peut allègrement passer de la théorie des mondes parallèles à la modification immédiate sans risquer de s’attirer les foudres de ses joueurs !
L’avantage, c’est que, même s’il est complètement illogique d’avoir des PJ qui, lors d’un voyage dans le temps, déclenchent un évènement qu’ils voulaient empêcher et qui n’aurait pas eu lieu sans leur intervention, c’est quand même bien fun !


Yoda.
Merci à giom, Anorryl, Gulix, docseb, xipehuz, RossVell et MMJ pour leur participation sur le forum de la taverne.
Je me suis également inspirée d'une conversation sur le forum de Casus NO, et je remercie en particulier Nolendur pour sa théorie du "temps à deux dimensions".

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Comme je n'ai pas peur des paradoxes temporels, voici un article qui paraîtra dans un an et demi, sur le même thème que celui-ci, mais complémentaire.

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