vendredi 29 juin 2012

Comment créer et mener une séance très courte


Il existe deux façons de faire découvrir le jeu de rôle au grand public : en l'amenant à soi (en organisant un évènement autour du jeu de rôle comme le Colloque Bob le Rôliste) ou en allant vers lui. Aller vers le public s'est s'installer dans une convention plus généraliste (en général de jeux, mais les Utopiales à Nantes en sont un exemple différent), voire l'interpeller dans la rue à l'occasion de la fête du jeu. Mais rares, très rares sont ceux qui se déplacent pour une raison tierce qui ont quelques heures à perdre à découvrir le jeu de rôle. Alors qu'une demi-heure, ce n'est pas plus long qu'une séance de jeu de plateau et ça se case plus facilement dans un planning de visiteur de convention.

La première fois que j'ai entendu parler d'une séance d'une demi-heure, j'étais incrédule et même plutôt opposée. Ce laps de temps me semblait vraiment trop court pour montrer ce qu'est le jeu de rôle. Mais comme même les imbéciles peuvent changer d'avis, j'ai maintenant une expérience dans la maitrise de découverte en une heure. Et voici donc quelques astuces personnelles, pour réussir une séance d'initiation de courte durée.


Construction du scénario


Un scénario court

Un scénario de découverte classique va comporter deux à trois scènes seulement. En voici un exemple, basé sur le premier auquel j'ai joué :

Les personnages arrivent à une fête. C'est l'occasion pour eux de discuter avec des PNJ ou de profiter des activités proposées. Le MJ peut surveiller le temps et passer à la scène suivante au moment qu'il veut en faisant intervenir un PNJ annonçant à tout le monde que les gâteaux ont été volés. L'enquête menée par les PJ est très simple et basée sur des jets de dés plutôt que sur la réflexion des joueurs. Les PJ doivent se rendre sur la scène du vol, constater que les voleurs ont laissé des traces de petits pieds et en suivre la piste. La scène finale consiste à découvrir que ce sont des gobelins affamés, et là libre aux joueurs de choisir de leur casser la figure ou de les inviter à la fête (ou autres solutions plus exotiques).

Il n'est pas nécessaire que le scénario soit linéaire. Le scénario Liberté ! que j'ai fait jouer lors des Utopiales est un scénario non linéaire adapté à des séances courtes. L'essentiel est que le scénario évite les scènes prenant un long temps de jeu, comme la rencontre des personnages, l'élaboration d'un plan, une alternative entre deux mauvais choix, etc. Bien que je ne l'ai jamais rencontrée, la technique consistant à faire commencer un scénario in media res (c'est-à-dire dans une scène d'action) est sans doute intéressante à utiliser.


Un scénario modulable

Il est très pratique d'avoir quelques séquences optionnelles dans le scénario, de préférence quand on s'approche de la fin. Pour le scénario d'exemple, si on approche de la fin et que les joueurs ont encore du temps devant eux, on peut faire intervenir un troll, qui se trouvait inopinément sur le trajet des gobelins et les a fait fuir et volé la nourriture. Les héros devront donc combattre le troll pour récupérer les gâteaux.

Une autre astuce consiste à écrire un scénario pouvant s'arrêter en cours de route. Typiquement, un scénario d'enquête peut comporter deux phases : la découverte du meurtrier et son arrestation. Si les joueurs ont passé un peu trop de temps sur l'enquête, la séance peut très bien se terminer quand les PJ ont découvert qui est le tueur. Cette fin est valable, les joueurs partiront satisfaits d'avoir résolu l'énigme, et sans savoir que s'ils avaient eu plus de temps devant eux, l'arrestation aurait posé quelques complications à leur personnage.


Un système simple, un univers connu

Faire une séance d'une demi-heure, cela signifie entrer rapidement dans le jeu, et donc limiter au maximum les explications. Si je dois consacrer vingt minutes a résumer le background de Shadowrun, il ne reste plus que dix minutes pour expliquer les règles et jouer. Il reste préférable de tabler sur des univers connus par tout le monde : des pirates, des hommes préhistoriques, des policiers. Le space opera et le médiéval fantastique sont également de bonnes options, la plupart des gens ayant vu Star Wars et Le Seigneur des Anneaux (merci Peter Jackson de nous avoir tant facilité la vie). De la même façon, le système de jeu doit être simple, pour ne pas perdre de temps en explication.

Les règles ne doivent pas seulement être simples, mais également permettre un jeu rapide. Mon choix pour ma première expérience en partie courte s'est porté sur le système D6. Le scénario était prévu pour une heure de jeu, je n'ai jamais réussi à le terminer en moins de deux heures. La longueur excessive des combats en a été une des raisons, les PNJ étant du fait de leur armure très difficiles à blesser. J'utilise depuis sa création Bob le Rôliste JDR, qui est idéal pour les parties courtes, tant du fait de sa simplicité, de sa souplesse et de la rapidité des combats (il suffit de bien paramétrer les points de vie des adversaires). De plus, sa taille permet pour quelques frais de photocopies d'offrir le livre complet aux joueurs prêts à prolonger l'expérience chez eux avec des amis.


Mener la séance

Tricher ! (un peu)


Dans l'introduction, je parle de séances d'une demi-heure, puis de mon expérience dans les séances d'une heure. Mais alors, on parle de séances de combien de temps au juste ? Eh bien voila le premier secret d'une maitrise d'une demi-heure, qui est le même que celui des sondeurs qui ne vous retiennent qu'une minute : annoncer une demi-heure pour une séance de 45 minutes. En effet, si les joueurs qui arrivent ont un peu peur de tester une chose qu'ils ne connaissent pas pendant plus d'une demi-heure, une fois qu'ils s'amusent, la prolongation n'est pas un problème. Mais attention de rester attentif à ses joueurs, il faut pouvoir terminer à l'heure annoncée s'ils ont signalé avoir un impératif de temps ou s'ils sont visiblement pressés.


Se montrer dirigiste

Faire tenir la séance en un temps limité exige de maîtriser avec la montre à portée de main, afin de savoir quand il faut que les choses aillent plus vite. Il est très bien de laisser la bride sur le cou des joueurs, surtout s'ils font discuter leurs personnages entre eux, mais à un moment il faut aussi les presser. Une astuce pour faire avancer le scénario consiste à demander un jet de dés aux joueurs : d'intelligence pour leur suggérer la chose à faire, d'observation pour remarquer un indice utile, ou de chance pour savoir si l'un d'eux va se prendre une balle perdue... C'est là d'ailleurs que les jeux dont la valeur des tests doit atteindre un seuil connu du MJ sont plus pratiques, en effet on est sûr qu'au moins un joueur réussira, il suffit de fixer le seuil une fois les jets effectués.


Purger le scénario

Le scénario est prévu pour 60 à 90 minutes et les joueurs n'en ont que 30 devant eux ? Il y a toujours des éléments que l'on peut supprimer, des détails d'ambiance qui ne sont pas nécessaires. Aller à l'essentiel, se cantonner dans l'intrigue principale permet encore d'enlever des éléments. Par exemple, dans le scénario Récupération nainrticle pour Nains & Jardins, devant faire très court, je n'avais pas joué le trajet jusqu'à la maison de Clément Rousseau, ni le combat final contre le chien.

Un élément qui peut faire gagner beaucoup de temps est de ne pas terminer les combats. Après un ou deux tours de jeu, si l'avantage est en faveur des PJ, il est facile de passer en mode descriptif en expliquant que leurs adversaires se prennent quelques coups de plus et se rendent. A éviter quand même pour le combat final ! Mais rien n'interdit dans ce cas de mentir sur le niveau de blessures du grand méchant, après tout les joueurs ignorent combien il a de points de vie en tout.



Encore plus court ?

Parfois, une séance de 30 à 60 minutes est encore considérée comme trop longue, d'autant plus qu'il faut parfois prendre le temps de rassembler le nombre de joueurs suffisants pour la lancer. Il existe d'autres possibilités de capter ce public, comme la démonstration en dix minutes ou la table ouverte. Comme quoi, pour trouver le format qui convient à notre besoin, notre seule limite, c'est notre imagination !


Yoda & FredTGZ

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lundi 18 juin 2012

Moi, Florence "Yoda", rôliste

Mon témoignage sera légèrement différent de beaucoup d'autres, car le jeu de rôle n'a pas changé fondamentalement ma vie. En effet, cette histoire commence alors que j'ai 22 ans et que je suis en DEA (désormais master de recherche). Le jeu de rôle ne me permet donc pas de réussir mes études, elles se terminent déjà. La personne qui me le fait découvrir est un charmant jeune homme avec lequel je sors, et que j'épouserai bien des années plus tard. Le jeu de rôle ne me permet donc pas  de trouver l'âme soeur, c'est l'inverse qui se produit. Quelques années avant, j'ai monté une association avec des copines à but humanitaire - même la vie associative, je l'ai connue avant le jeu de rôle. Je pourrais ajouter à la liste l'amour de la lecture et la compréhension de l'anglais, qui ne doivent rien dans ma vie au jeu de rôle.

Pourquoi témoigner alors ? J'ai pu constater, par la théorie et la pratique, tout l'intérêt du jeu de rôle. Mais également que ce loisir est bien moins connu que le Tarot ou le Monopoly, ce qui fait que des milliers de jeunes aujourd'hui peuvent grandir sans même savoir ce qu'est le jeu de rôle. Il m'a donc semblé nécessaire de partir en croisade contre ce fléau... mais une croisade pacifique, utilisant comme arme les animations dans des conventions.


Un jeu de société


Le jeu de rôle est avant tout un jeu de société. Jouer une partie est donc  une activité sociale, que l'on pratique avec des amis. C'est une bonne occasion de rencontrer d'autres personnes au sein de clubs et de nouer des relations plus étroites. Notre monde moderne regorge de loisirs se pratiquant en solitaire, comme jouer aux jeux vidéos ou regarder la télévision. Les réseaux sociaux sont essentiellement virtuels, on y va quand on en a envie, sans engagement, et sans contact réel. Ils ont leur utilité, mais un jeu qui nous pousse à rencontrer des amis, en s'engageant envers eux renoue avec ce contact humain et social que l'on perd si facilement de vue face à des écrans.

Contrairement à la majorité des jeux de société, le jeu de rôle est un jeu coopératif. Les joueurs viennent pour raconter une bonne histoire et s'amuser - et c'est tout. Personne ne perd à la fin d'une partie. Ce qui a des avantages indéniables : préserver une ambiance détendue, éviter l'humiliation d'un joueur, le mélange facile des âges et des expériences de jeu. Les loisirs mettent souvent en avant la compétition ; l'entraide et la solidarité sont des valeurs moins souvent rencontrées, et pourtant très positives pour les personnes manquant de confiance en soi-même.

Le jeu de rôle est également un excellent moyen de lutter contre la timidité. De la même façon que pour le théâtre, le simple fait de jouer un autre personnage permet à certains timides d'oublier leurs inhibitions. En improvisation complète, avec les copains pour seul public, le jeu de rôle permet d'acquérir de la confiance en soi, voire de l'éloquence.


Un jeu éducatif

Le jeu de rôle n'est pas estampillé "jeu éducatif", cela ne l'empêche pas de l'être dans les faits.

La première des facultés que le jeu de rôle contribue à améliorer, c'est l'imagination. Il s'agit de plonger dans des mondes et des situations imaginaires - que les meneurs vont parfois créer. Les joueurs vont réfléchir aux problèmes qui sont posés à leurs personnages et devoir trouver des solutions. Mais ils doivent également visualiser en imagination les scènes décrites par le meneur. Tout cela fait que le cerveau reste actif durant toute une partie. Nous sommes très éloignés d'une émission de télévision ayant pour but de le rendre détendu et disponible pour la publicité.

Les joueurs incarnent un personnage différent d'eux-même, appartenant le plus souvent à un monde imaginaire ou à une époque historique. Très souvent, pour comprendre au mieux comment pense leur personnage et l'interpréter avec le plus de justesse possible, le joueur va se documenter sur le cadre de vie dans lequel évolue son personnage. Cela peut être en lisant des romans se déroulant dans le même univers, ou bien des documents historiques. Cela n'est en rien rendu nécessaire par le jeu de rôle : l'imagination et les indications du meneurs sont suffisantes. Pourtant, la plupart des rôlistes que j'ai rencontrés sont des lecteurs assidus, et certains le sont devenus en jouant aux jeux de rôles. Est-il vraiment nécessaire de dire en quoi devenir un bon lecteur est positif ?

De façon moins systématique, le jeu de rôle stimule d'autres capacités. Des facultés artistiques, comme le dessin et l'écriture sont souvent développées par les rôlistes, pour illustrer leur personnage, raconter une séance etc. Le jeu de rôle est également une motivation importante pour l'apprentissage des mathématiques, en particulier des probabilités. Enfin, de nombreux jeux étant publiés en anglais et ne bénéficiant pas d'une traduction, ce loisir peut se révéler une bonne motivation et un bon entrainement pour la maitrise de l'anglais écrit.

Un jeu qui stimule l'imagination, la lecture, l'écriture, l'anglais, les maths, voire l'histoire et la géographie... comment ne pas le qualifier d'éducatif ?


Un jeu économique et écologique

La petite cerise sur le gâteau de tous les avantages déjà indiqués, c'est que ce jeu ne nécessite comme matériel que des dés (dont certains un peu spéciaux), du papier, des crayons et un livre de règles. Cela suffit à jouer pendant des heures et des heures. Certes, on peut aussi acheter un scrabble et y jouer pendant des heures également, mais c'est un peu plus répétitif. Le jeu de rôle permet d'avoir des séances orientées enquête, politique, action, humour... Avouez qu'il y a plus à raconter dans la longue histoire d'un personnage qui a voyagé dans l'espace, rencontré des aliens, résolu une énigme qui lui a permis d'explorer un site archéologique truffé de pièges que dans le fait d'avoir posé KIWI sur "mot compte triple" et totalisé 66 points !

Un gros avantage du jeu de rôle, c'est son énorme souplesse. On peut décider de jouer les personnages de sa série préférée, dans son époque historique préférée. Il existe une diversité étonnante de jeux de rôles, mais même si ce que l'on cherche n'existe pas encore, rien n'interdit de l'inventer. Car la seule limite, c'est l'imagination ! Et ça ne coûte pas très cher...

Il y a tout de même une nuance à apporter dans "un livre de règles". Tout d'abord, on peut faire moins cher en allant chercher des jeux gratuits sur Internet (cela existe - et pas uniquement le simplissime Système Bob). Ensuite, si, en règle générale, un livre suffit pour des années de jeu sans se lasser, quelques rares jeux (mais très connus) nécessitent l'achat de plusieurs livres. Et la plupart des autres vendent des suppléments facultatifs, mais bien utiles pour avoir de nouvelles options de jeux ou des aventures toutes écrites. Si vous connaissez des adeptes particulièrement dépensiers en jeux de rôles, cela reste leur choix, mais ne contredit pas le fait que le jeu de rôle ne coûte pas cher si on en décide ainsi. Il est d'ailleurs dommage, pour faire encore moins cher, qu'on ne trouve pas de livres de jeu de rôle en bibliothèque.

Les ressources matérielles nécessaires sont minimes, et il n'y a rien à brancher. Aucun doute : le jeu de rôle peut être classé comme un loisir dont l'empreinte planétaire est particulièrement faible.


Un jeu "cool"


Le jeu de rôle est donc un loisir social, éducatif et économique. Voila trois avantages indéniables, mais le dernier et non le moindre, c'est qu'il n'a pas été conçu pour cela. Ce ne sont pas des penseurs qui ont imaginé un jeu présentant tous ces intérêts pour occuper sainement les adolescents. Tous ces avantages ne sont que des effets collatéraux d'un but premier : s'amuser, tout simplement. Et ce but est pleinement atteint. Adolescents, enfants et adultes jouent d'abord au jeu de rôle pour passer un bon moment. L'aspect ludique est le premier que l'on voit, contrairement à certains jeux éducatifs qui se montrent rapidement un peu rébarbatifs. On ne joue pas aux jeux de rôles parce qu'on est un bon élève ou qu'on veut se faire des amis mais parce que c'est bien.

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